Primo Levi signe un roman
autobiographique poignant sur sa déportation. Son livre a été
publié en 1947, d'abord passé inaperçu, puis traduit dans de
nombreuses langues après la parution de son second roman, la Trêve
(1963), mais seulement en 1987 en France.
Son écriture ne recèle ni
pathos ni envie de revanche, comme on pourrait l'attendre d'une
victime de la Shoah, elle est sobre et posée. Le ton est
neutre et dépassionné. En effet, l'auteur a utilisé comme support
un rapport technique qu'il avait rédigé avec un autre déporté
pour les Alliés sur le camp d'Auschwitz. Il voulait livrer un récit
historique, pour exposer la vie dans un Lager telle qu'elle était
vraiment. Son récit est digne et amène à s'interroger sur la
condition humaine, sur la douleur.
Le quotidien d'un homme humilié, réduit à sa simple appartenance
et non plus à son identité.
Au fil des jours, nous le
suivons partout, au travail, aux toilettes, lors de la tonte
hebdomadaire, lors de la distribution de pain matinale… Le lecteur
est véritablement transporté soixante-dix ans en arrière, aux
côtés de l'auteur, survivant avec lui, jour après jour, luttant
contre la faim, le froid, la boue… Le lecteur se rend alors
vraiment compte de l'horreur de la vie dans les camps, de
« l'organisation » mise en place pour survivre, ce trafic
permanent : une cuillère contre une ration et demi de pain, un
balai volé contre dix rations de pain, un ticket confirmant votre
passage sous la douche contre deux rations de pain. Tout faire pour
survivre tant bien que mal.
On assiste à l'évolution des
relations avec ses compagnons d'infortune par des dialogues
multilingues plutôt rares présentant la fraternité évidente entre
les déportés, mais aussi cette rivalité étonnante : les
chemises volées aux petits nouveaux pas encore au courant qu'il ne
faut pas laisser sans surveillance ses « affaires
personnelles » se résumant à une paire de sabots de bois, une
chemise de toile, un caleçon, une veste, un pantalon, et une
cuillère et une gamelle pour les plus dégourdis. Le « chacun
pour soi » omniprésent.
Des
réponses à des questions restées longtemps taboues et sans
réponses.
Un style d'écriture unique,
avec de longues phrases pour pouvoir tout dire, tout raconter, dans
un registre de langue plutôt soutenu. Une lecture poignante,
émouvante. Un livre captivant, qui tient le lecteur en haleine,
curieux de savoir comment le narrateur a pu survivre alors que tant
d'autres ont péri. L'auteur, par un récit détaillé, oblige le
lecteur à connaître la réalité de ce qui s'est passé dans ce
camp d'Auschwitz. Et le plus grandiose, c'est que ce devoir de
mémoire est apaisant pour le lecteur car il sait enfin ce qu'il
s'est vraiment passé dans les camps nazis pendant la Seconde Guerre
Mondiale. Les nombreuses incertitudes concernant l'univers
concentrationnaire, la haine des nazis envers les juifs, dues au
silence de l'après-guerre, au refus de connaître la vérité et
d'en parler disparaissent grâce à des réponses à ces questions
inclues dans un appendice final.
Primo Levi |
On ressent alors de l'empathie
mais pas de la pitié pour le narrateur qui sait si bien
circonstancier son récit sans s'apitoyer sur son sort.
En 1976, il a complété son
récit par des réponses aux questions récurrentes qui lui étaient
posées. Il explique son absence de haine et la sobriété de son
récit par l'impossibilité pour lui de haïr une armée de fantômes,
les nazis ayant été réduits à néant. Le lecteur ressort soulagé
de la lecture de ce récit autobiographique car il connaît enfin les
détails de la vie quotidienne, des horreurs du camp d'Auschwitz. Il
est reconnaissant à l'auteur de lui décrire précisément la
réalité, et de l'amener à réfléchir sur la condition humaine,
sans s'appesantir sur le sentiment de pitié.
Cyann Starck,
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